Dans un arrêt n° 107/2021 du 15 juillet 2021, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours en annulation introduit contre la loi du 23 mars 2019 « concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire », qui consacre notamment le service minimum en cas de grève dans les prisons.
Les faits
Depuis de nombreuses années, le droit de grève des agents pénitentiaires fait débat en Belgique. Alors que la surpopulation carcérale et les conditions de détention en Belgique sont régulièrement pointées du doigt par la Cour européenne des droits l'homme (1), les acteurs s'accordent également sur la difficulté des conditions de travail des agents pénitentiaires. Toutefois, les grèves des agents, dont certaines ont duré plusieurs semaines, ont pu contribuer à aggraver les conditions de détention des prisonniers, privés de douche, de visite, de sortie au préau…
L'exercice du droit de grève des agents sans cadre juridique a dès lors pu conduire à la violation des droits fondamentaux des détenus.
C'est dans ce contexte que le législateur a adopté la loi du 23 mars 2019 « concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire », qui met notamment en œuvre le principe « d’assurer en toute circonstance l’exercice des missions de l’administration pénitentiaire », l’accord de gouvernement fédéral de 2014 ayant « retenu explicitement l’objectif d’instaurer dans les prisons un service garanti pendant les périodes de grèves » (Doc. parl., Chambre, 2018-2019, DOC 54-3351/001, p. 13). La loi du 23 mars 2019 instaure dès lors, pendant les périodes de grève, « des mécanismes qui assurent l’exercice des missions de l’institution pénitentiaire de manière continue » (ibid., p. 14).
L'arrêt de la Cour constitutionnelle
Par son arrêt n° 107/2021 du 15 juillet 2021, la Cour constitutionnelle a estimé que l'instauration d'un service minimum pendant les grèves de agents pénitentiaire et l'encadrement de l'exercice du droit de grève des agents, n'étaient pas contraires à la Constitution et aux droits des travailleurs consacrés par les instruments internationaux (B.55 et suivants).
La Cour rappelle tout d'abord que "Le droit de grève n’a (…) pas de caractère absolu. Il peut être soumis à certaines conditions et faire l’objet de certaines restrictions" (B.57.2). La Cour souligne ensuite qu' "en visant à assurer la continuité des services pénitentiaires en cas de grève, les articles 15 à 20 de la loi du 23 mars 2019 ont pour objectif de renforcer la légitimité de l’institution en garantissant les droits fondamentaux des détenus, tout en recherchant un équilibre avec le droit de grève des membres du personnel pénitentiaire" (B.59.2).
Sans reprendre la totalité du raisonnement de la Cour, qui apprécie chaque mesure particulière relative à la mise en œuvre d'un service minimum, retenons que la Cour a estimé que :
Une telle mesure entraîne inévitablement une ingérence dans l’exercice de la liberté syndicale et du droit de négociation collective;
Cette mesure poursuit un objectif légitime, à savoir assurer des services essentiels à la santé et à la sécurité des détenus, et partant à leur dignité humaine;
La proportionnalité des différentes mesures est également assurée dans la mesure où :
les organisations syndicales représentatives ont été associées à l'élaboration de la loi et peuvent participer, dans chaque prison, à l’élaboration concrète du plan visant à assurer les services essentiels ;
le droit à la dignité humaine et l'interdiction de traitements inhumains et dégradants des détenus ne souffrent d'aucune dérogation : il est dès lors primordial de pouvoir assurer la continuité des services essentiels au respect des droits fondamentaux des détenus.
La Cour entend les arguments du requérant concernant le personnel en sous-effectif structurel dans les établissements pénitentiaires, mais souligne que cela n'est pas de son ressort :
"Il appartient au pouvoir politique de prendre les mesures nécessaires pour garantir non seulement la continuité des services pénitentiaires en cas de grève, mais aussi l’effectivité de ces services en dehors des périodes de grève, y compris avec un nombre suffisant de membres du personnel qui, au regard du nombre de détenus, peuvent assurer des conditions de détention conformes à la dignité humaine. L’on ne saurait toutefois reprocher à la loi du 23 mars 2019 les manquements à cette obligation, découlant de l’absence ou de l’insuffisance d’effectifs adéquats; une telle critique, qui porte sur l’application de la loi, ne relève pas des compétences de la Cour. Comme le constate à juste titre la partie requérante, un sous-effectif structurel du personnel au sein des services pénitentiaires pourrait entraîner in concreto une restriction disproportionnée des droits des membres du personnel concerné, ce qu’il appartiendrait, le cas échéant, au juge compétent de constater." (B.65.2)
Qu'en retenir ?
La Cour ne s'est pas contentée d'opposer le droit de grève des agents aux droits fondamentaux des détenus. En effet, cet arrêt détaille la mise en œuvre du service minimum en prison pour garantir la dignité des détenus et examine minutieusement la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de grève.
Reste encore aux autorités politiques à adopter les mesures nécessaires pour endiguer la surpopulation carcérale et la pénurie d'agents, que l'on espère de nature à diminuer le nombre et la durée des grèves dans le secteur.
(1) Voy. notamment Cour eur. D.H., 28 mai 2019, Clasens c. Belgique ; CEDH, 25 novembre 2014, Vasilescu c. Belgique.
Pour lire l'arrêt :
Pour le communiqué de la Cour constitutionnelle au sujet de l'arrêt :
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